Research Brief 62. Laissons la culture aux théâtres, concentrons-nous sur le comportement

Chercheur postdoctoral Senne Letouche et professeur Bart Wille

(7 novembre 2023) De nos jours, la préoccupation pour la culture organisationnelle semble universelle. Les organisations félicitent leurs managers et se vantent fièrement d’une culture favorable, et vice versa. Tout cela est encouragé par des consultants et des professionnels des ressources humaines qui montent dans le train de la culture avec enthousiasme. Cependant, cette popularité contraste fortement avec ce que nous savons scientifiquement sur les cultures d’entreprise. C’est pourquoi je voudrais partager dans cet article de blog quelques idées basées sur mon doctorat qui porte sur la culture organisationnelle chez plus de deux cents entreprises. Cette thèse était une collaboration entre l’Université de Gand et The Forge, sous la supervision du professeur Bart Wille.Blog post 62-1.png

Une bonne compréhension

C’est quoi en fait, la culture ? Les définitions populaires décrivent la culture comme la « colle qui maintient tout ensemble » ou « la façon dont les choses sont faites ». Bien que ces définitions semblent plausibles, cela offre peu d’outils pratiques aux professionnels qui souhaitent travailler concrètement sur la culture. Edgar Schein, une figure importante en psychologie organisationnelle, décrit la culture comme un ensemble de valeurs, de normes, et de comportements partagés par les membres d’une organisation. Cette définition est déjà un meilleur point de départ.

Une implication importante de cette définition est en effet que la culture est le dénominateur commun des croyances parmi les employés. Si tout le monde dans une entreprise est convaincu de l’importance de la valeur « sécurité », et que les employés corrigent les uns et les autres en cas d’actions négligentes dans l’entrepôt, nous pouvons dire que cela fait partie de la culture. Inversement, cela signifie qu’il peut y avoir des différences entre la culture que la direction espère avoir, et ce qui est réellement partagé entre les employés. Une trop grande disparité entre la culture souhaitée et la culture réelle nécessite souvent un changement culturel. Mais comment changer une culture?

Blog post 62-3.pngNous ne sommes souvent pas conscients de l’influence du contexte social sur notre comportement. Cependant, dès que vous mettez des gens ensemble, vous pouvez être sûrs qu’ils développeront une culture. Nous n’avons donc pas besoin d'être conscients des valeurs et des normes que nous partageons avec nos collègues, pour que celles-ci influencent bel et bien notre comportement. Un changement de job révèle à quel point la culture nous a influencé. Nous réalisons alors soudainement que porter un costume trois pièces n’est pas du tout une évidence, et qu’un t-shirt d’Iron Maiden est toléré ailleurs. La culture que nous considérions comme acquise se révèle soudain unique et changeante au lieu d’être universelle et stable.

Le changement de culture n’est pas une conséquence des séances de brainstorming, de va-et-vient interminables, ou de sessions inspirantes

Le changement de culture est une intervention particulièrement populaire, mais malheureusement aussi souvent infructueuse dans les organisations. Nous voulons changer quelque chose dans notre culture, mais nous finissons par avoir une multitude de séances de brainstorming sans fin, de va-et-vient interminables, ou de sessions inspirantes avec des conférenciers invités (coûteux) qui aiment bien faire étalage de slogans creux. Malheureusement, tout cela n'a aucune conséquence concrète. Ici aussi, la définition de Schein apporte une valeur ajoutée. La définition de Schein est donc imprégnée de ce dont nous devons parler : le comportement humain. Les valeurs de la culture souhaitée peuvent apparaître clairement sur notre site web, mais si les personnes sur le lieu de travail ne manifestent pas le comportement associé, cette culture n'existe pas réellement.

Cela illustre immédiatement ce qui ne va généralement pas dans le cas d'un changement de culture. Nous aimons tous rester au niveau abstrait et parler des valeurs de notre entreprise. Cela semble être un exercice intellectuel, mais c'est en même temps une solution facile. C'est la voie de la moindre résistance et détourne l'attention de ce qu'est réellement le changement de culture, à savoir la modification des comportements concrets.

L'innovation est un bon exemple dans ce contexte. Si l'on en croit les déclarations sur les sites web, LinkedIn et les titres de post, chaque organisation est innovante. Cependant, lors du premier brainstorming de l'année, nous rejetons toujours immédiatement l'idée la plus créative au motif qu'elle n'est "pas réalisable". Les organisations trouvent que l'innovation est importante (valeur), mais nous savons, grâce à la recherche, que les gens rejettent généralement les idées innovatrices (comportement). C'est en adoptant le comportement correspondant que les choses se gâtent le plus souvent. Le changement de culture est donc un nom plus branché pour le changement de comportement.

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Changement de culture clandestin

Alors, comment changer les comportements et les habitudes ? Dans de nombreux cas, un changement de culture commence par une mesure. Mais ceux qui utilisent un thermomètre comme alcootest seront déçus. Une mesure scientifique est utile car elle crée un point de référence fiable. Cependant, le changement de culture ne doit pas devenir un « management de cockpit » où l'on regarde des tableaux de bord, des graphiques et des voyants d'alerte dans une pièce isolée, en espérant une évolution favorable. Des décennies de recherche ont montré que les gens apprennent déjà quand ils observent ces comportements chez les autres. Nous savons donc que les gens absorbent déjà une culture simplement en en faisant partie. Dans la boîte à outils des managers, donner le bon exemple est un outil sous-estimé, sinon le plus important, pour créer un changement de culture.

Plus encore, il peut être intéressant de ne pas communiquer la culture souhaitée. Bien sûr que nous nous attendons à ce que les managers qui s’occupent d’être « agent de changement de la culture positive » (je ne l'invente pas) nous demandent comment nous allons. Cependant, lorsque des collègues demandent comment nous allons, cela reste dans les mémoires. Cela indique l’importance de l’authenticité et du contexte informel. Le comportement communique déjà des valeurs en soi. Ces valeurs n'ont donc pas besoin d'être explicitées, parce que ça peut saper l’authenticité. Annoncer « une bonne blague » crée des attentes, et sape le but d’être drôle. Ainsi, un changement de culture ouvert produira des résultats différents d'un changement de culture discret. Ne parlez pas seulement de la culture souhaitée, mais concentrez-vous sur l’installation du comportement que cette culture reflète. Changer une culture de manière « clandestine » est non seulement plus durable, mais cela permet également d'économiser beaucoup d’emails internes. Votre informaticien vous remercie d'avance.

Ecris par chercheur postdoctoral Senne Letouche et professeur Bart Wille (Senne.Letouche@TheForge.be et Bart.Wille@UGent.be).

Pour en savoir plus sur cette recherche, consultez la thèse de doctorat.